Le 14 juillet 2017, huit membres influents de Rigpa International ont adressé une lettre à Sogyal Rinpoché (SR) et aux 130 monastères du groupe afin de dénoncer les abus commis par leur maître. Elle a fait l’effet d’une bombe et causé la chute de SR qui depuis le 11 août a été démis de ses fonctions et a pris la fuite. Le scandale n’est pas resté cantonné à la France. The Telegraph, un journal anglais, a publié au mois de septembre une longue enquête sur la vie dissolue du maître et ses abus.
Sogyal Lakar est né en 1947 à l’Est du Tibet dans une famille de commerçants. Selon sa mère, il serait la réincarnation de Sogyal Terton, un lama tibétain maître spirituel du 13e Dalaï Lama (l’actuel est le 14e).
À l’âge de six ans, il est envoyé chez sa tante, épouse d’un lama éminent. Sa famille fuit en Inde où il sera scolarisé dans une école primaire catholique. Il poursuivra ses études dans une école anglicane de Delhi pour finir en 1971 au Trinity College de Cambridge. Il y rencontre Mary Finnigan avec laquelle, il organise ses premiers enseignements destinés spécifiquement aux occidentaux. Un don providentiel lui permet d’ouvrir son premier centre à Londres.
Il choisit d’enseigner selon la tradition Vajrayana, version ésotérique du bouddhisme tibétain censée conduire les dévots à atteindre l’illumination en une seule vie. La tradition tibétaine regorge d’histoires de lama amenant leurs élèves à l’illumination par des méthodes semblant frôler la folie et les soumettant à de multiples épreuves. Mais pour y parvenir, un lien de confiance indéfectible doit s’établir entre le maître et le disciple, le « samaya ». L’élève promet une obéissance aveugle au gourou,dont les actions ont pour but le bien de son élève. Rompre ce lien peut avoir des conséquences pour le disciple qui risque d’entrer dans un cycle de renaissances éternelles. SR usera et abusera de ce lien pour justifier ses pratiques violentes.
En 1976, SR se rend aux États-Unis et y rencontre l’extravagant lama Chogyam Trungpa, considéré comme le plus extrême des enseignants de « folle sagesse ». Observant que Trungpa ne se refusait rien au prétexte de son statut (il buvait, avait des relations sexuelles avec ses adeptes), SR décida de l’imiter.
Le véritable essor du groupe eut lieu durant les années 80 et trouva son point culminant après la publication, en 1991, du livre qu’il est censé avoir écrit : Le livre tibétain de la vie et de la mort. Préfacé par le Dalaï Lama, il aurait été en grande partie écrit par des proches. Pourtant ce livre fit de lui une célébrité, à tel point qu’en 1993, il apparut dans le film de Bernardo Bertolucci : Little Bouddha.
Mais c’est aussi à cette époque que sa conduite sexuelle avec les jeunes femmes du groupe, qu’il appelle ses « dakinis » ou muses spirituelles, commença à susciter la controverse.
En 1994, une première plainte pour abus sexuel est déposée par une adepte américaine qui a souhaité garder l’anonymat. L’affaire s’est règlée à l’amiable et SR a pu tranquillement poursuivre ses activités.
Plusieurs femmes ont confié au Telegraph les abus dont elles ont été victimes. L’une d’elle explique : « parce qu’il était mon maître spirituel, je croyais que tout ce qu’il demandait était dans mon meilleur intérêt […]. Vous voulez progresser sur le chemin spirituel et en dormant avec le prof, vous obtenez une proximité avec ce que tout le monde désire. »
Chez Rigpa, tout est présenté et accepté comme un enseignement. Et lorsque les adeptes sont frappés ou contraints à céder aux avances de SR, ils pensent être l’objet d’une attention particulière du maître qui les rend exceptionnels. Pensant purifier leur karma, des adeptes ont accepté sans broncher d’être frappés à coups de poing, à coup de livres, d’être strangulés, de partager avec SR leur conjoint…
La violence était tellement institutionnalisée au sein du groupe que les adeptes sont devenus, par leur silence, les complices involontaires des actes criminels perpétrés par SR.
Mais SR ne s’arrêtait pas à la violence physique, les dégâts étaient aussi psychologiques En 2007 il met en place la « Rigpa Therapy » et assigne des « psychothérapeutes » (membres du groupe) aux étudiants en proie au doute. Le but des sessions étaient de dédouaner SR en amenant les élèves à penser que leurs difficultés présentes étaient dues à leurs relations passées (famille, amis…).
Pendant qu’il enseigne à tous les vertus d’une vie modeste, il vit dans un chalet équipé d’une piscine chauffée. Des disciples dévoués le servent jours et nuits, même lorsqu’il voyage. Pendant ses années de service, une ex-adepte se rappelle avoir travaillé 14 heures par jours, six jours par semaines pour le satisfaire. Une autre adepte rapporte un de ses caprices : en 2011, en voyage à Londres pour six jours, il fait réaménager à son goût l’appartement de l’adepte chez lequel il logeait.
Cependant malgré le culte du secret, la rumeur enfle depuis plusieurs années, et à partir de 2011, les révélations ne cessent de se succéder.
En 2011, Mary Finnigan, disciple de la première heure, dévoile dans son livre, Behind the Thangkas, qu’il existe un sous-ordre dans Rigpa connu sous le nom de « Lama Care », chargé de mettre à la disposition de Sogyal des jeunes femmes lors de ses voyages.
La même année, un documentaire canadien, Au nom des lumières, révélait de nombreux abus sexuels.
En 2015, Olivier Raurich, président de Rigpa, n’acceptant plus les pratiques du groupe, démissionne.
L’année suivante, l’anthropologue Marion Dapsance publie Les dévots du bouddhisme, résultat d’une enquête de terrain chez Rigpa. Elle en conclut au sectarisme du groupe.
Selon un ex-adepte, un tel système aurait été, au Tibet, freiné dans ses excès. Mais entouré d’adeptes occidentaux ignorants le réel bouddhisme tibétain, Sogyal n’a jamais été remis en question. Malgré des rumeurs récurrentes sur Sogyal, Rigpa a été peu critiqué par les autres lamas tibétains et même si le Dalaï Lama a souvent condamné les comportements contraires à l’éthique bouddhiste, il n’a jamais cité ouvertement Sogyal. Au contraire, bénéficiant de dons substantiels de Rigpa, des monastères tibétains ont envoyé des moines enseigner à Lérab Ling.
Pour le bouddhiste Stephen Batchelor : « Le problème auquel sont confrontés les autres lamas est que s’ils acceptent ces critiques, ils acceptent les critiques de l’ensemble du système. »
La dernière apparition publique de Sogyal a eu lieu le 30 juillet 2017 en Thaïlande. Lors du septième symposium bouddhiste mondial des jeunes, alors qu’il était en plein scandale, dans son discours sur la « méditation et la tranquillité d’esprit », Sogyal déclarait : « Si votre esprit est détendu et à l’aise, peu importe les crises auxquelles vous êtes confrontés, vous ne serez pas dérangés. »
En Grande-Bretagne, suite à l’afflux de témoignages engendré par la publication de la lettre dénonçant les pratiques de Sogyal, la « Charity Commission » s’interroge sur la nécessité d’entamer une enquête approfondie sur les affaires et la gouvernance de Rigpa.
(The Telegraph : 21.09.2017)
Lire sur le site de l’Unadfi : Rigpa dans la tourmente : https://www.unadfi.org/groupe-et-mouvance/rigpa-dans-la-tourmente