Des Témoins de Jéhovah, nées au sein de familles Témoins de Jéhovah mais en rupture avec leurs croyances, témoignent du dilemme auquel sont confrontés les adeptes ne souhaitant plus être membre du groupe mais qui sont confrontés aux fortes pressions de la famille et de la communauté.
Alors qu’elle a abandonné ses croyances, Michaela aujourd’hui âgée de 26 ans, craint les conséquences d’une excommunication et préfère ne pas quitter définitivement le groupe, car une exclusion revient à être considéré comme mort par ses proches.
Rebecca est également devant un choix difficile. Cette ancienne « pionnière permanente », un titre accordé aux Témoins qui font plus de 80 heures de prosélytisme par mois, voudrait quitter le mouvement. Elle a même rédigé sa lettre de rupture, mais si elle l’envoie, elle confie, pleine de crainte : « ma famille et mes amis de toujours arrêteront de me fréquenter ».
Les modalités pour rompre avec le mouvement sont simples, il suffit d’adresser un courrier à sa congrégation ou de l’annoncer par oral à deux personnes. Mais les conséquences sont terribles pour ceux qui partent, car leur nom est annoncé publiquement lors d’un office et, d’après Michaela, « c’est là que le rideau tombe. L’ostracisme commence instantanément ».
Interrogé par Le Parisien, Le Bureau des relations publiques des Témoins de Jéhovah, n’est pas clair sur la question des apostats. Pour lui, les ruptures familiales seraient dues à des problèmes familiaux préexistants. Cependant, il n’oublie pas de rappeler à ses membres d’appliquer le principe biblique consistant à prendre garde à ses fréquentations. Pour l’adepte, le départ du groupe signifie braver de nombreuses croyances et interdits. Ainsi malgré ses doutes grandissant, Michaela, conditionnée, a d’abord fui les réseaux sociaux et les apostats qui « propagent des informations fausses ou déformées sur l’organisation de Jéhovah ». Mais lassée des règles misogynes en cours dans le groupe, elle fit des recherches sur son histoire au court desquelles elle découvrit les affaires de pédophilie dans lesquelles la WatchTower est embourbée aux États-Unis.
Pour Charles aussi le déclic a eu lieu via internet. Mais franchir le pas de l’excommunication et de l’isolement qui en découle est une lourde décision. Après plusieurs mois de réflexion il annonce son départ, mais finalement prétendant qu’il s’est trompé, il se rétracte pour ne pas perdre sa famille.
Serge Blisko, l’ancien président de la Miviludes, confirme que la brutalité de la « désaffiliation » est un obstacle au départ des adeptes.
Mais l’isolement familial et amical n’est pas le seul écueil à la sortie du groupe, ainsi qu’en témoignent les trois adeptes interrogés par le Parisien. Les nombreux interdits, en particulier la dissuasion de fréquenter « les gens du monde », les non-croyants, et la diabolisation du monde extérieur, sont des obstacles quasi infranchissables pour eux qui sont nés au sein du groupe. Michaela se rappelle sa « frustration de ne pas participer aux fêtes d’école » et la culpabilisation qui l’a poussée à se dénoncer aux Anciens de sa congrégation après avoir eu des rapports sexuels.
Le temps consacré à sa vie sociale ajoute Charles est inexistant du fait des nombreuses activités religieuses imposées aux adeptes (réunions, études de la Bible, prédication). Néanmoins malgré tous ces écueils, leur décision de partir est irrévocable. Michaela fait des économies, commence à tisser un nouveau réseau d’amis. Rebecca, quant à elle se réjouit d’avance de ne plus avoir « à faire attention à ce qu’elle dit, ce qu’elle porte, à son heure de retour ».
En attendant, tous trois échangent avec d’autres adeptes inactifs ou excommuniés qui avouent que malgré leur souffrance, ils ne retourneront jamais dans le groupe. Michaela ne regrette pas le jour où elle s’est réveillée de l’endoctrinement et « veut militer pour interdire l’ostracisme et faciliter la sortie des membres ».
(Source : Le Parisien, 05.02.2020)